La « digital Workplace » est au centre du décollage des usages synchrones de la collaboration qui se généralise après des années d’évangélisation. A l’opposé, comme l’avait souligné Zevillage récemment, et avec la confirmation de Lecko, les grands comptes ne sont pas encore prêts à accepter que “le travail à distance dépasse un ou deux jours”, même pendant la grève, celle-ci ayant fait émerger des modes de pensée français, au moins 25 ans en arrière par rapport à ce que j’ai vécu à l’international et au Royaume-Uni notamment (dès 1995, on y introduisait le « hoteling », le travail sans bureau attitré).

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Le rapport Lecko 2020 avec la digital workplace au menu

De quoi montrer un paysage ambigu où la modernité (collaboration synchrone), côtoie le traditionalisme (refus du travail distant). Un paradoxe marquant dans un paysage technologique dont on va voir ici que s’il s’est réduit autour de quelques acteurs, il ne s’est pas singulièrement simplifié. Restons optimiste cependant, nous sommes d’avis que ce rétropédalage culturel n’en a plus pour longtemps à vivre. Ce compte-rendu fait également partie de notre série sur l’environnement de travail réalisée avec Selceon.

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Cet article fait partie de notre dossier sur l’environnement du travail de demain réalisé avec Visionary Marketing

L’état de la collaboration en entreprise en 2020 selon Lecko

Lecko a présenté le 30 janvier 2020 son 12ème rapport sur l’état de la collaboration interne des entreprises. L’affluence était encore plus importante que d’habitude, mais Visionary Marketing était au premier rang pour ne rien rater de cet événement essentiel qui fait le point sur le secteur, les usages et les principaux éditeurs du domaine.

Digital Workplace : « L’équivalent virtuel et numérique du lieu de travail physique ». Une des premières définitions proposée par Paul Miller, dans « The Digital Workplace : Comment la technologie libère le travail », 2012.

Une année collaborative sous le signe de la « digital workplace »

L’année dernière montrait une nette consolidation autour de Microsoft et de Google, tout en mettant un accent particulier sur la dichotomie entre modernisation et transformation. Cette année a été placée sous le signe de la « digital workplace, au cœur des préoccupations de clients d’aujourd’hui » a expliqué Arnaud Rayrole. Un sujet bien connu des équipes de Visionary Marketing qui vivent la « digital workplace » au quotidien, après avoir essayé — afin de s’adapter aux outils et aux exigences des clients — à peu près tous les outils les plus connus.

Les messageries d’équipe au cœur de la « digital workplace »

En un mot, une « digital workplace » qui s’impose, au travers des messageries d’équipe (avec Office 365/Team et Google/Slack en leaders) dans une organisation qui s’est enfin convertie au travail synchrone, même si les choses ne sont pas si simples que cela et que « les plateformes dites ‘intégrées’ ne sont pas paradoxalement celles qui offrent la meilleure expérience d’intégration » pour reprendre les mots des consultants de Lecko.

L’Étude Lecko 2020 est téléchargeable au lien suivant : (200 pages environ, une vingtaine de contributeurs, un travail de Titans avec une collaboration Yougov pour le sondage.

Etat des usages du collaboratif en France en 2020

Lecko a travaillé avec Yougov pour avoir un panel représentatif des utilisateurs de la collaboration dans les entreprises de plus de 5000 personnes. Voici quelques insights pris à la présentation d’Arnaud :

  • 91% des collaborateurs (une grand majorité) se sentent à l’aise avec le digital. Il n’y a plus de problèmes avec les smartphones, les ordinateurs, le digital en général, voilà une bonne nouvelle. Et ce n’est pas non plus une question d’âge, on va sans doute nous faire des vacances avec la génération X,Y,Z etc.
  • Impact du digital : globalement, 70% des gens pensent que le digital a apporté quelque chose de positif (opérationnel, rapport avec les autres, bien-être au travail etc.)
  • Deux grandes populations coexistent : celles qui sont au contact des clients, et celles qui sont devant leur ordinateur. Les premières veulent mieux partager l’information. Les secondes, et particulièrement les managers, commencent à faire remonter qu’elles sont noyées par les réunions, le trop-plein d’informations etc. Et elles attendent du digital qu’on réduise le trop-plein. 28% veulent même réduire le nombre de mails. Voilà qui sonne comme une douce musique à mes oreilles. A noter que Christophe Routhieau, ex Bluekiwi et qui a contribué au projet zéro email chez Atos quand la SSII a racheté cette start-up, vient de rejoindre Lecko, pour porter de nouvelles offres autour des transformations managériales et organisationnelles.

Digital Workplace : comment l’organisation peut-elle évoluer ? 

Les bonnes nouvelles ne sont pas finies. « Les modèles hiérarchiques reculent et l’autonomie progresse avec des employés qui sont alimentés par d’autres voies que les voies hiérarchiques » nous a expliqué Arnaud Rayrole. L’évangélisation — au cœur de nos travaux depuis 20 ans ou plus — a fini par porter. Ce modèle en réseau vient s’ajouter aux autres modèles cependant (traduction : on travaille en réseau mais la hiérarchie est encore bien présente, même si des pionniers comme Onepoint montrent la voie avec les organisations orientées projets et compétences). Le numérique s’infuse dans l’entreprise par le bas et la base utilise les réseaux internes et externes. « L’agilité est un mot que tout le monde a à la bouche » ajoute Arnaud. « Certains en font sans le savoir, mais si on leur demande en quoi ils sont agiles, il est plus difficile de comprendre ce que cela recouvre exactement ». Il y a donc de bonnes choses à noter dans ces évolutions, mais aussi des postures qui relèvent de la mode. Ne boudons pas notre plaisir cependant, les choses bougent, lentement, mais elles bougent.

Des outils calqués sur des approches organisationnelles

« Les approches managériales ne valent cependant que par rapport à ce que l’on cherche à faire » nous explique Arnaud. Or si les approches cohabitent, les outils aussi. Voilà un constat que tout le monde aura fait. D’un côté les approches modernistes, et les outils, comme Trello, calqués sur l’agilité, et d’autre part les outils plus hiérarchiques, qui s’additionnent aux autres, ce qui finit par générer une complexité certaine. Trello, pour revenir à lui, a par exemple été conçu pour soutenir un processus Kanban et travailler sur des projets agiles. Dès qu’on va parler de Réseau Social d’Entreprise (RSE), les choses deviennent très différentes.

Les messageries d’équipe au cœur de la digital workplace agile

Les messageries d’équipe, sont aussi là pour soutenir des approches en mode agile et contextualiser tous les échanges. On va converser autour d’un formulaire, d’un flux de Kanban et une mise en perspective. On s’y retrouve plus facilement dans les conversations, on est sur un format d’échange différent qu’avec le mail ou le RSE. Pour autant, ces « nouveaux » outils permettent de soutenir une nouvelle forme de travail, mais ne suppriment pas le bruit pour autant. Bien au contraire. J’ai personnellement étranglé les notifications Slack afin de ne pas être noyé sur les messages supplémentaires, quitte à les dévier sur le mobile.

Un outil pour chaque problème, les organisations empilent les solutions

Maintenant, on commence à bien percevoir le problème. Chaque outil est fait pour résoudre un problème, mais l’organisation empile les manières de travailler. C’est moins difficile que de se réinventer et cela permet d’insuffler un peu d’innovation dans l’organisation. Mais le bruit n’est pas réduit. Au contraire. Pas étonnant avec cela que les managers se sentent envahis de messages, notifications et alertes.

Digital workplace : déployer n’est pas transformer

Mais attention, déployer des outils ne veut pas dire qu’on se transforme (Cf. Le compte-rendu de l’année dernière). Il faut donc bien distinguer ce qu’il faut moderniser et ce qu’il faut transformer. Transformer est beaucoup plus compliqué, il faut inciter les gens à changer, c’est plus long et plus compliqué. D’où l’empilage cité plus haut, moins impliquant, moins radical, plus facile — a priori — à mettre en œuvre. Surtout à court terme. A plus long terme, les limites vont être vite trouvées. Partant de ces constats, Lecko propose 8 modèles (« patterns ») de transformation en partant volontairement des outils, car ce sont eux auxquels les utilisateurs sont d’abord confrontés.

 

Les limites à ne pas transformer 

Mais comme on le sent dans mes commentaires, ne pas transformer a ses limites. Et Arnaud l’a rappelé clairement. Première limite, si on déploie de la technologie, cela simplifie les choses au premier abord mais on risque, à long terme, d’aller à l’encontre de ce qu’on cherche à obtenir. « Par exemple, si on crée chacun son dossier dans un drive, on recrée le chaos » et là je sens des lecteurs qui remuent sur leur chaise en pensant « ah oui alors ! ». Le but de ces outils est d’amener les utilisateurs à travailler sur le document de tout le monde et qu’on accepte qu’on soit en mode brouillon chez les autres. Se transformer, explique Arnaud, «  c’est accepter le partage au-dessus de tout le reste ». Les accros au mail apprécieront, mais rien n’est plus fondamental que l’acquisition de cette culture du partage. Deuxième limite, « ce n’est pas parce qu’on a créé un espace sur Teams que l’approche a changé » nous prévient Arnaud. Cela dépend de la qualité de la confiance entre les équipes, en évitant les guerres de chapelles MOA/MOE par exemple. « Il ne faut pas promettre un meilleur partage si l’on ne communique pas vraiment » conclut Arnaud sur ce point. D’autres remarques pourraient être faites sur les agendas partagés par exemple, qui amènent des abus et obligent les utilisateurs malins à blinder leurs calendriers de faux rendez-vous pour éviter d’être vampirisés par les réunions. En un mot comme en cent, il ne faut pas utiliser les nouveaux outils avec les anciennes pratiques, et c’est là que le bât blesse. Une remarque pas nouvelle pour les rapports Lecko, car elle a déjà été faite plusieurs fois si mes souvenirs sont bons.

Etat de l’art du travail collaboratif en 2020 : 5 mois de travail

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Bastien le Lann au micro : 5 mois de travail et de nombreux enseignements

Plusieurs enseignements sont à tirer de cette étude qui a nécessité 5 mois de travail. Voici un résumé de ces enseignements, distillés par Bastien le Lann de Lecko :

  • Premièrement, Office 365 ou G Suite sont des outils bureautiques avant d’être des outils de collaboration. Avant cela il faut basculer dans le cloud. Or, aller dans le cloud avec Microsoft ou Google (les deux leaders) est un choix structurant pour des années. Ce n’est plus un débat et la majorité est sur Microsoft nous explique Bastien.
  • Pour ce qui est de Microsoft, Power Apps et Flow vont sortir des plans standard E3 et cela va coûter cher, nous explique l’expert Lecko. 10$ par utilisateur par app et par mois pour Power Apps. Difficile de croire que cela va favoriser le développement des workflows. Peut-être que cela changera dans le futur, Power Apps était encore présenté par Microsoft, lors de Ms Envision the tour de novembre, comme un pilier de l’innovation sur Office 365. Dommage.
  • Autre enseignement : la situation actuelle laisse de la place à des acteurs spécialisés. Lecko défend le Best of Breed car selon eux le « standard monolithique ne résout pas tout. Jive s’y est d’ailleurs cassé les dents » a expliqué Bastien. Sur ce plan, on saluera l’excellente note donnée à des acteurs français et pionniers du domaine comme Jamespot et TalkSpirit, qui confirment leur position de leaders parmi les solutions alternatives.

  • Quatrième enseignement : le marché se structure par la conquête de la « digital workplace » par les différents acteurs du marché, mais avec des visions différentes.
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    Les acteurs qui sont dans la transformation sont plus à droite de ce schéma, ceux qui sont plus hauts sont ceux qui ont une meilleure UX.

L’offre reste atomisée : il existe encore un grand nombre de petits acteurs sur des cas d’usages précis qui proposent des UX fortes. Quand on parle de « Digital Workplace », il existe en fait deux approches :

    1. Celle qui se base sur un portail centralisé où l’entreprise gère les outils
    2. Une autre basée sur une messagerie d’équipe

Le marché est donc calqué sur ces deux méthodes, et on voit donc que la « digital workplace » recouvre des réalités assez différentes, sinon opposées, qui correspondent bien à l’empilage organisationnel décrit plus haut. Un cas concret et éclairant de messagerie collaborative La présentation s’est finie sur un cas concret de messagerie collaborative et une comparaison Slack et Microsoft qui a donné un avantage à Slack, Lumapps et Google sur le géant de Redmond. Le match a montré cependant des lacunes des deux côtés, et il est fort à parier que les choses évolueront rapidement dans les années qui viennent, notamment au vu de la généralisation de l’utilisation de Teams et de la suite Office de Microsoft. Celle-ci a fait de nets progrès ces dernières années, et on sent, à l’usage, que l’on n’est plus très loin de la qualité des « best of breed » du partage comme Dropbox, Box ou Google Drive, alors que les fonctionnalités de modification collaborative des documents sont, enfin, au point et donnent à Microsoft un avantage concurrentiel certain, en plus du poids des habitudes des utilisateurs en entreprise.

Outils en bonne voie, méthodes et mentalités, peut mieux faire

En conclusion, je ne suis pas très inquiet sur les outils, qui nécessitent encore beaucoup de travail, mais qui s’améliorent constamment. Il y a plus de doutes sur les méthodes de travail et l’évolution des mentalités qui, comme on l’a vu plus haut, doivent encore beaucoup évoluer, même si des progrès ont été faits. Or, c’est là que va se jouer l’avenir du travail de demain, non dans la capacité à faire une Web conférence avec tel ou tel outil, mais dans la manière dont les organisations vont pouvoir évoluer de manière décentralisée, aussi bien en termes géographiques que hiérachiques, comme l’a décrit Philippe Pinault en conclusion de cet événement. Un long chemin encore à parcourir, c’est la leçon à tirer des grèves de décembre 2019 et janvier 2020 et des réactions — parfois archaïques — de certains employeurs, à contre-courant des aspirations des utilisateurs, mais aussi du besoin de décentralisation que la préservation de l’environnement ne va pas tarder à nous imposer de manière drastique.

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